e soir de son élection, Nicolas Sarkozy a affirmé que la démocratie était "de retour", avec un taux de participation très élevé à l'élection présidentielle. Les Français ont-ils renoué avec la politique ?
La
France est démocratique depuis longtemps ! On peut par contre parler
d'un retour du politique. Les partisans de Ségolène Royal ont mis en
avant l'idée de l'avènement de la démocratie participative : dans cette
campagne électorale, les Français ont lu, écouté, participé à des
meetings et parfois échangé ou débattu. Mais l'horizon était bien une
élection, et la conclusion de tout ce processus démocratique est bien
que c'est la démocratie représentative qui l'a emporté. Même si les
Français ont marqué leur désir d'un autre style, d'autres façons de
faire de la politique.
Ce regain d'intérêt est-il passager ou est-on entré dans une nouvelle phase ?
Les
Français ont eu la conviction qu'ils tournaient une page de leur
histoire politique. Ils étaient fatigués d'un certain personnel
politique, las de la chiraquie et de la mitterrandie.
La
campagne a d'abord été people, puis démagogique et populiste, et enfin
sérieuse. Des questions ont été posées, les Français voulaient savoir
ce qu'on leur proposait, ils voulaient comparer. Cette campagne a été
cathartique. Elle a entériné la destruction du passé. Les Français ont
donné des signaux clairs de ce dont ils ne voulaient plus. Fini la
politique des années 90.
Ce retour du politique n'est pas
éphémère. Les gens vont se mobiliser pour les législatives. Il y aura
ensuite les municipales, avec leurs enjeux spécifiques. Les Français
attendent des signaux clairs. Des mesures vont être prises très
rapidement par Nicolas Sarkozy, les unes à portée symbolique, les
autres plus concrètes, et tout ne se fera pas en cent jours.
La crise de la représentativité politique est donc enterrée ?
On ne règle pas tous les problèmes en quelques semaines. La méfiance à
l'égard des partis et des hommes politiques n'a pas disparu comme par
enchantement. Disons qu'on était au fond de la piscine et que l'on a
donné un grand coup de pied pour refaire surface. Ce qui manque
aujourd'hui et ce qu'attendent les Français, c'est que le clivage
gauche/droite soit réellement reformulé. La droite a réussi le pari :
elle est relativement soudée, l'UMP a absorbé une partie de la
périphérie, les chiraquiens se sont ralliés, ainsi que les élus UDF.
L'échec de Ségolène Royal est à imputer autant à elle qu'à son parti,
en crise. Elle a été au départ la candidate de la presse people et des
sondages. Les adhérents au Parti socialiste ont voté pour une image et
non pas pour un projet. Le PS n'a toujours pas de projet clair, de
positionnement fort. Une bonne partie des électeurs de gauche ont
surtout voté contre Sarkozy, d'autres par fidélité à leur camp, sans
ardeur, d'autres sont tombés sous le charme : la ténacité de Ségolène
Royal, son indépendance par rapport au parti, son côté populiste (tout
ce qui vient du peuple est bon, tout ce qui vient d'en haut est
douteux...).
On a aussi assisté à une baisse du score du Front national...
Lorsqu'elle
reprend à son compte le discours sur l'identité nationale, Ségolène
Royal perturbe certains de ses électeurs. Elle n'a pas su élaborer un
concept de gauche de cette notion de nation qui relève d'ailleurs
plutôt, aujourd'hui, du pré carré de la droite. Nicolas Sarkozy, lui, a
réussi l'opération : il a conquis dès le premier tour un certain nombre
d'électeurs du Front national ; et contrairement au souhait de
Jean-Marie Le Pen, le report de ses voix sur Nicolas Sarkozy au second
tour a été très bon. Ce dernier a-t-il proposé l'image d'une nation
ouverte, au plus loin de toute xénophobie, de tout racisme ? Beaucoup
en doutent, lui reprochent de ne pas avoir été assez loin dans la
redéfinition de la nation et de s'être quelque peu lepénisé.
Internet a-t-il permis aux Français de se réapproprier le débat politique ?
Internet
est un outil formidable, des millions de personnes se sont informées,
ont débattu. Mais les blogs, les forums sont dans l'espace public, or
dans cet espace tout ne devrait pas pouvoir être dit. Des personnes
peuvent calomnier, mentir sans qu'il soit possible de les sanctionner.
Internet ne remplace pas mais complète les outils classiques
d'information ; il manque peut-être des formes de régulation permettant
d'éviter les perversions et dérapages. |